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Rêves, gnose et alchimie, révélation directe de Dieu / 2

Une vérité renversante

Quelle peut être bien la vérité renversante, la vérité horrible que le rêve vient révéler ?

En voici un exemple : j'ai reçu ce rêve en 1985, à l'époque où, sur le conseil de mes rêves, je commençai à peine à étudier Jung. J'ignorais encore tout de son œuvre.


La traîne de Dieu

Je me vois au centre d'une cathédrale. Dans la croisée du transept, il m’est montré, à droite, l'image de Dieu. Je contemple Dieu qui se présente à moi, de dos. Je suis impressionnée par la robe de Dieu. C'est une longue robe à larges plis, d'un blanc comme la laine. Cette robe s'épanouit en une large traîne. De tout cela émane une impression grandiose de totale puissance, de calme souverain. Je reste pétrifiée, écrasée par la majesté de cette image.

Alors la traîne de la robe se soulève et découvre ce qu'il y a en-dessous. Je regarde cette partie cachée de Dieu et, là, à mon indicible stupéfaction, je vois une queue de serpent ! Je suis effarée, mais, à peine vois-je cette image et cette queue qui ondule, que je vois tout à coup cette queue noire se dresser et devenir une queue de scorpion (3).

J'ai mis plusieurs jours à me remettre de cette vision effroyable. C'est l'alchimiste Étienne Perrot, fils spirituel et traducteur de Jung, qui m'en donna le sens.


Interprétation

Que peut-on dire de ce rêve, de cette expérience ?

Je me vois au centre d'une cathédrale à la croisée des transepts.

Ce haut lieu de la chrétienté symbolise mon centre intérieur spirituel où je me tourne vers Dieu. La croisée des transepts correspond à la conciliation des contraires, notion nouvelle que je viens d'aborder avec en lisant Jung. Le rêve vient m'en parler.

Je contemple Dieu qui se présente à moi, à droite, de dos.

L'apparition a lieu à droite. La droite désigne le conscient et l'ordre, l'avenir, le monde extérieur. Le rêve m'invite ainsi à considérer comme juste cette image de Dieu et à l'intégrer désormais au niveau conscient, dans le monde extérieur. Dieu se présente de dos ; ce n'est qu'à Moïse que Dieu s'est présenté de face.

Je suis impressionnée par la robe de Dieu.

L’image divine ne se présente pas revêtue d’un habit resplendissant, éblouissant de lumière. Cependant elle s’impose par sa majesté et sa puissance écrasante.

Alors la traîne de la robe se soulève et découvre ce qu'il y a sous la traîne.

Le regard entrevoit dans cette partie cachée le mystère de Dieu en train de se révéler et aperçoit ce qui se trouve à sa base, à ses pieds, quand il est en contact avec la terre.

Je regarde et, à mon indicible stupéfaction, je vois... une queue de serpent !


Abraxas


Partout dans toutes les cultures anciennes, le dieu ou la déesse apparaît accompagné du serpent, que ce soit, par exemple, Esculape, Isis ou Quetzalcoatl. Il symbolise aussi la force créatrice appelée kundalini par les Hindous. Partout le serpent est lié à la divinité et beaucoup de rêves le montrent. Partout, sauf dans le christianisme traditionnel. Mais le rêve n'a rien à faire de ce que les doctrinaires de l'église ont faussé l'image de la divinité. Je l'ai montré en détail dans mon livre Ces rêves qui vous protègent et vous guérissent (4).
L’image cachée de Dieu a partie liée avec le serpent, ce qu’on appelle le péché, le mal et tout ce qui a été condamné : d’abord la sexualité puis tout ce qui paraît irrationnel et instinctif, surgissant du domaine de l’inconscient le plus profond.


A peine vois-je cette image et cette queue qui ondule… que je vois tout à coup cette queue noire se dresser et devenir une queue de scorpion.

Au serpent succède immédiatement le scorpion, partie cachée du corps de la divinité. Je l'ignorais alors, mais j'appris plus tard que le scorpion était l'attribut de la déesse égyptienne Selket.



Mais pour le christianisme traditionnel, nous sommes en plein domaine démoniaque : la queue du serpent noir, puis celle du scorpion ! Le diable n’est-il pas représenté en serpent, ou avec une queue de scorpion ? Le côté caché du divin, serait-ce le diable ?

Je me réveille dans un état innommable, broyée par la terreur, je sens mes cheveux se dresser sur ma tête et je ressens ce que les Anciens appelaient « l'horreur sacrée ». Cet incommensurable sentiment de terreur, appelé « mysterium tremendum », est l’effroi mystique qu’inspire la présence de la divinité, comme le souligne le théologien Rudolf Otto (5).

Selket

Revenons maintenant sur la première image du rêve :

Je me trouve au centre de la cathédrale, à la croisée des transepts.

Cette croisée, construite suivant le modèle de la croix du Christ, est l'espace où les contraires se rencontrent, s’harmonisent et s’équilibrent. C’est dans cette position que je peux alors comprendre ce que le rêve me révèle : il me présente l’image de la divinité comme une puissance ambivalente et paradoxale où les contraires cohabitent.

Deux en un

Ainsi dans ce rêve, la divinité se présente d'abord sous l'image traditionnelle de la Toute Puissance sereine, le Summum Bonum, le Bien suprême, qui dans sa souveraine majesté dirige le monde. Mais elle vient ensuite révéler son aspect caché et montre à la rêveuse qu'elle contient aussi la puissance incompréhensible, destructrice, diabolique du mal.

Le rêve avec cette vision innommable venait me montrer d'emblée que l'enseignement de Jung était juste, avant même que je ne l'ai abordé. Jung écrit ainsi par exemple : « On s’indigne bien sûr à la pensée que le mal et le malheur font partie intégrante de Dieu, et on s’imagine que Dieu ne peut vouloir une chose pareille. On devrait pourtant se garder de la tentation consistant à restreindre la toute puissance de Dieu en se fondant uniquement sur l’idée qu’en ont les hommes. » (6).


Vous trouverez un autre rêve, plus horrible encore sur mon blog.


Cependant je savais aussi que le scorpion possède un aspect positif : s’il symbolise la guerre, la destruction et la mort, il signifie aussi la guérison et la renaissance, en particulier la renaissance spirituelle.

Ce rêve est un grand rêve initiatique qui vient répondre à la question douloureuse : « D'où vient le mal ? ».

Les gnostiques ont essayé d'y répondre. Grégoire de Nysse, Origène suggérèrent une possible rédemption du diable, mais leur conception fut jugée hérétique par l'Eglise. Pourtant une de mes élèves entendit une nuit en rêve une voix lui dire : 

« Sans pêché, il n'y a pas de rédemption ».

Les images de Dieu et le Mal

En conclusion, je voudrais maintenant souligner deux points.


D'abord, mon étude sur l'image de Dieu dans un rêve nécessite quelques précisions.

Comme Jung le fait remarquer : 

« L’image de Dieu n’est pas une découverte mais une expérience vécue qui survient à l’homme spontanément, ce que l’on sait assez clairement si l’on ne préfère pas à la vérité l’aveuglement des préjugés idéologiques. » (7).

Mais attention ! Les images divines qui apparaissent en rêve ne sont pas des preuves métaphysiques de l'existence de Dieu. Ce sont des constatations psychologiques qui n'ont rien à voir avec la théologie. Cependant, si on ne peut pas déduire de ces images que la divinité existe, on ne peut pas non plus nier que ces apparitions correspondent à des facteurs efficaces, même s'ils restent inconnaissables en soi.

Ces images sont efficaces, elles le sont même parfois terriblement : elles laissent des impressions inoubliables ; elles peuvent changer une vie, exercer leur effet pendant des années, bien plus fortement que n’importe quelle idée. Ces images sont chargées d’une puissance agissante, transformante, thérapeutique. Ainsi, les rêves sont l'espace naturel où se déploie une Force Universelle inconnaissable en soi. Elle y révèle d'elle des aspects qui autorisent à certaines considérations psychologiques et non métaphysiques.


Il convient ensuite de souligner le rôle de ces images. Dans l'inconscient chrétien, l'image de Dieu est malade, invalide, handicapée. Je n'en ai pas parlé ici, par manque de place, mais j'en ai donné plusieurs exemples sur mon blog et dans mon dernier livre (4). La gnose, les alchimistes ont essayé de corriger cette représentation déficiente d'un dieu exclusivement bon, mais ces mouvements ont été condamnés par l’Église.


L'âme occidentale souffre donc d'une dissociation douloureuse, insupportable entre le Bien et le Mal. Et c'est cette souffrance que les rêves tentent de guérir individuellement, comme je viens d'en donner un exemple. Ils viennent la nuit corriger la conception unilatérale du rêveur. Mais de nos jours, on l'ignore et on ne s'intéresse guère aux rêves. De surcroît, où sont les interprètes de rêves ? Ils sont bien rares et difficiles à trouver. Et, malgré ce qu'on en croit, bien rares sont les psys qui sont capables d'interpréter les rêves. Pourtant la tâche est immense et urgentissime.

Jung a expressément averti : « Ce que l'on ne veut pas savoir de soi-même, finit par arriver de l'extérieur comme destin. ».

Ce mal en nous, ce mal en Dieu que l'on condamne, que l'on rejette, que l'on fuit désespérément pour préférer rester "bon et bien", ce mal est en train de nous arriver de l'extérieur en pleine figure. Il suffit de regarder la tragique actualité et ses horreurs sans nom. Et les rêves, qui ont annoncé ce qui se passe actuellement, viennent nous prescrire la thérapie alchimique, salutaire et maudite. (I - II - III - IV - V - VI - VII)


Quand je m'écrie avec Angélus Silésius : « Que me sert, ô Gabriel, que tu salues Marie, Si tu n’as pas le même message pour moi ? », l'ange du rêve vient me montrer comment je peux, moi, à mon tour, aujourd'hui, permettre à la divinité de s'incarner en moi, en accueillant le dieu obscur, le dieu noir, l'ombre de Dieu...

L'annonce à Marie'


Je choisirai ces mots admirables de Jung qui explique :

« C’est l’homme coupable qui est apte et par conséquent choisi pour devenir le lieu de l’incarnation progressive, et non pas l’homme innocent qui se refuse au monde et qui refuse de payer à la vie son juste tribu, car en ce dernier, le dieu obscur ne trouverait pas l’espace dont il a besoin. » (9).

Voilà la vérité que savaient les gnostiques et les alchimistes et que les rêves de nos jours ne cessent de révéler. Il suffit de les prendre en considération pour le constater.

Mais aujourd'hui comme autrefois, c'est toujours dans un cadre confidentiel que cette vérité est accueillie.

(3) Ces rêves qui vous protègent et vous guérissent. Thérapie du corps et de l'âme, Christiane Riedel, éd. Trajectoire, chap. 23.

(4) id., ch. 22, p. 181 sq.

(5) Le Sacré, Rudolf Otto, Petite Bibliothèque Payot, 1996, p. 29.

(6) Essais sur la symbolique de l'esprit, C. G. Jung, éd. Buchet Chastel, p. 238.

(7) Aïon. Etude sur la phénoménologie du soi, C. G. Jung, éd. Albin Michel, p. 213.

(8) La Bible, Luc, ch.1, v. 35. 

(9) Réponse à Job, C.G. Jung, p. 221.

© Christiane Riedel